Considérons que l’État soit une souveraineté dont tous les autres pouvoirs dérivent, donc qu’à l’intérieur du territoire dont il a la charge, l’État dispose de la compétence de ses compétences.
Considérons l’article 3 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789:
«Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. »
Considérons que dans un Etat, le citoyen ait la liberté de participer à la vie publique.
Considérons enfin, la parole des uns et des autres. Et décryptons une réforme du point de vue des uns et des autres, des mots des uns et des autres.
Que dit l’état : qu’il est nécessaire d’assurer une meilleure orientation. Que le système actuel est défaillant et nuit à la réussite de chacun, dans son parcours de formation et d’insertion. Vrai / faux ? Il y a, ou plutôt il pourrait y avoir débat, de mots et d’idées. Mais l’Etat ne dit pas que cela. Il dit que les personnels d’Orientation sont trop « psychologues », trop loin des élèves, trop déconnectés des métiers. Donc dit-il, place doit être faite à ceux qui savent, ceux qui sont au plus près, les Professeurs Principaux et les Régions. Il dit enfin que les CIO ne trouvent plus leur utilité dans un système qui met l’orientation au cœur des EPLE et offre aux autres publics suffisamment d’officines labellisées région ou, privées.
Le contexte posé, je pourrais m’atteler à démanteler ces « vérités » assénées. Discuter sur les manquements de l’Etat, qui ne veut plus assurer sa souveraineté Educative sur l’ensemble du territoire National, ses compétences en matière d’orientation. Mais l’article 3 de la Constitution cité en préambule, répond pour moi. De quel droit un corps, des individus, exercent-ils d’autorité un pouvoir qui n’émane pas des citoyens ? Car qui a voté pour la mise en vente à la découpe d’un service d’Etat, l’Education Nationale ?
Pas les citoyens, que sont les Psychologues de l’Education Nationale, spécialité Education Développement Orientation. Pas non plus les familles qui consultent en établissements ou au CIO, ni les éducateurs ASE, de la PJJ, les associations d’aides aux migrants, les décrocheurs, les étudiants, les jeunes adultes, qui par milliers poussent chaque année la porte d’un CIO. Là-dessus il y a sans doute consensus. Pourtant, il y a les mots. Ceux exprimés et les non-dits, des mots, ceux du pouvoir, qui décrédibilisent pour détruire un service public, des mots, ceux des personnels, qui refusent le démantèlement d’un service public, des non-dits aussi, qui comme tout silence, même inconsciemment, cautionnent.
Commençons par les mots du Ministre de l’Education Nationale, de la Ministre du Travail, de leurs conseillers, du Président des Régions de France et de tant d’autres. Des mots abrupts et ignorants. Des mots violents et diffamants. Des mots hors sols emprunts d’idéologies et d’un froid calcul économico-politique.
Ces mots les Psy EN n’en peuvent plus de les entendre. Trop loin des élèves ? Mais oui Monsieur Blanquer, vous avez raison ! Quand depuis 15 ans, notre service est littéralement dépecé à coup de non recrutement, de « Carte Cible », qu’un Psy EN dans les bonnes années a en charge 1500 élèves, trois EPLE et le CIO comme cadre d’activité, bien sûr que les heures d’entretiens ou d’équipes de suivis, sont comptées ! Mais justifier vos mesures, la régionalisation de l’orientation et la fermeture des CIO, en mélangeant dans vos propos les difficultés dont souffrent, la fluidité des parcours et l’insertion des jeunes, AFFELNET et APB/PARCOURSUP, ou la mauvaise localisation des CIO (cf. la carte cible dont vous avez été acteur), cela devient insupportable. Et nous vous le disons. Vos mots oscillent entre populisme et démagogie, entre discrédit et malhonnêteté intellectuelle. Les citoyens que nous sommes, les personnels d’un service public de l’Etat Français, vous le disent. Nous n’en pouvons plus de vos mots. Et l’affirmons chaque jour à travers les centaines d’actions conduites par les Psy EN dans tout le pays, au sein des CIO, notre «Etablissement » d’affectation, notre entité professionnelle, notre centre ressource, notre bureau d’accueil de TOUS les publics qui font la Nation Française.
Malheureusement, en rédigeant cette chronique je me dois aussi d’évoquer les non-dits et les silences.
Ceux de notre hiérarchie, IEN et CSAIO, DASEN et RECTEURS. Dans quel état vivent-ils, quels citoyens sont-ils ? La fonction efface-t-elle le citoyen ? Car enfin, être fonctionnaire empêche-t-il de penser et exprimer ? Diriger un service en voie d’extinction ne rend-il pas légitime sa défense ? Voir s’appauvrir le champ de compétences de l’Education Nationale n’est-il pas un juste argument pour questionner, défendre, remettre en perspective les mesures annoncées et leurs justifications, avec la réalité de terrain ? Apparemment, NON. D’audience en audience, nous avons face à nous des fonctionnaires bardés du « devoir de réserve », de « je ne sais pas » ou, « il faudra bien se remettre en question » et j’en passe. Pas une voix officielle ne s’est levée pour dire au Ministre, « STOP. Votre procès est inique. Le travail les missions la réalité de terrain des Psy EN, des CIO, ce n’est pas ce que vous dénoncez ». Tels des schizophrènes, ils valident d’un côté et font comme si rien n’allait changer de l’autre. Parcoursup sans les Psy EN ? Pas de problème. En réalité dans les lycées « ils feront quand même, les Psy » et cet été les CIO resteront ouverts plus tard pour assurer le bureau des pleurs ! Vous pensez que je caricature ? Même pas ! Ce n’est qu’un exemple, d’actualité, mais combien d’autres textes nous ignorent ou nous citent à la marge, depuis des années, sur des actions qui correspondent pourtant à nos missions et, plus encore, à la réalité de nos pratiques en établissement comme au CIO ? Silence sur toute la ligne, sauf pour esquisser quelques pressions sur les personnels de ci de là. Silence jusqu’à ce qu’arrive « la feuille de route », missive si rassurante et déresponsabilisante qui déclenchera réunions et circulaires, pour redéfinir le temps de travail les missions d’activités et … l’implantation des CIO. En toute légitimité.
Et puis il y a d’autres silences. Qui questionnent aussi. Ceux des chefs d’Etablissements, nos premiers partenaires au quotidien. Ceux avec qui nous contractualisons, ceux avec qui nous partageons les principales difficultés rencontrées par leurs publics. Hommes et femmes qui peuvent s’appuyer sur les Psy EN pour assurer une formation d’enseignants, rappeler la teneur d’une circulaire, s’assurer de la bonne élaboration d’un dossier SEGPA ou autre. Quelques mots écrits ou prononcés au gré d’un congrès ou de rencontres, mais rien ou presque finalement, pour faire remonter au Ministre l’impact du travail d’un-e Psy EN en EPLE, le besoin d’un CIO sur le BEF. Devoir discrétionnaire ou discrétion coupable ? Espoir que « leur » Psy EN sera rattaché à plein temps à « leur » établissement ? Un peu de tout peut-être, mais au bout du compte une erreur d’appréciation qui rejaillira sur le quotidien des équipes pédagogiques et élèves. Il n’y aura pas plus de temps Psy EN en EPLE et on s’apercevra très vite que tous les spécialistes des métiers, seuls, ne feront jamais des projets pérennes pour les élèves, ne rapprocheront pas plus les familles les plus démunies de l’école, le décrocheur du savoir.
Les professeurs le savent aussi, eux qui pourtant dans la lutte que mènent les Psy EN restent également silencieux. Beaucoup compatissent mais… Acceptent une seconde charge de PP pour Parcoursup, travaillent la question de l’orientation en avouant ne pas être formés, avant de renvoyer quand même familles et élèves vers les Psy EN, au CIO, quand les cas deviennent trop complexes. Contre rémunération il est normal de faire, mais chers collègues, réalisez-vous que vous acceptez de faire à la place de ? De ceux dont c’est le métier, ceux qui comme vous, ont une professionnalité, des compétences et passés un concours pour exercer au sein du système éducatif. Les enseignants aujourd’hui sont conduits à faire autre chose que ce pourquoi ils sont entrés dans leur si difficile métier. Sans même se demander si, si demain un autre personnel ne pourrait pas finalement faire à leur place, de l’anglais, puisque nous sommes si mauvais en langues étrangères (et tous d’accord bien entendu sur ce constat), des mathématiques (puisque nous reculons dans tous les classements internationaux), du sport (puisqu’il y a tant de passionnés de foot ou de rugby dans nos contrées….). Pas de mots ou si peu pour dire « NON, non nous ne voulons pas des missions des Psy EN ». Parce que l’orientation et ses problématiques, celles des adolescents, celles liées aux contextes psychologiques, familiaux, sociaux, à l’inadaptation scolaire, la construction d’un parcours de formation, et tant d’autres facteurs, constituent un paradigme au cœur d’un METIER, au centre d’un ACCOMPAGNEMENT : celui de Psy EN travaillant auprès des publics scolaires et non scolaires, en demande d’un accompagnement pour construire leur projet d’élève, d’étudiant, de vie.
Les mots, qu’ils soient brutaux ou rares dans ce que traverse actuellement le service d’orientation de l’Education Nationale posent de nombreuses questions. Sur la ligne politique du gouvernement, sur l’école que veut l’Etat pour ses citoyens, sur le rôle aussi des citoyens dans notre démocratie. On casse, en guise de réforme. On jette en pâture en guise de dialogue. On se tait au nom d’un devoir de discrétion, par habitude de l’inaction, déresponsabilisation ou en raison de pression. Mais les Psy EN, petit corps au sein de l’E.N, ne se sont jamais laissés attaquer sans riposter. Depuis 3 mois ils se mobilisent. Et communiquent, diffusent, interpellent, alertent aussi, l’ensemble de la communauté éducative sur un processus de réformes qui dépassera très vite le seul champ de l’orientation. La fonction publique, les programmes, les lycées professionnels, la gestion des EPLE, bien d’autres chantiers sont en cour. Bien d’autres personnels seront touchés. C’est aussi notre devoir de citoyen d’alerter, et agir.
Agir n’est pas simple. Des inspecteurs menacent, des DCIO entravent. Demain les mêmes difficultés à défendre nos métiers surgiront en collèges lycées G/T/Pro. Et c’est de cela dont je voulais parler ici. Ce gouvernement agit tel un rouleau compresseur. Quand une annonce est faite, la machine est déjà lancée. Face à ces procédés, seule l’unité, l’action collective, peut réussir. Les Psy EN, le comprennent chaque jour un peu plus. Derrière un seul mot d’ordre : la défense d’une certaine idée du rôle de l’Etat, pour défendre l’unité de la Nation et le vivre ensemble, en Citoyens éclairés.