Alors que l’Enseignement Agricole Public (EAP) connaît depuis plusieurs années des restrictions budgétaires se traduisant par des suppressions de postes et par une hausse des seuils dans les classes, le Ministère de l’Agriculture a choisi de favoriser les élans mercantiles d’intérêts privés pour former les agriculteurs de demain. Le SNETAP-FSU, au sein d’un Collectif, défend l’idée d’une politique de renforcement du service public d’enseignement pour répondre aux enjeux sociétaux.
L’enseignement agricole, un nouveau marché
En Février 2021, Xavier NIEL, patron de Free, et Audrey BOUROLLEAU, ex-conseillère de l’Elysée sur les questions agricoles et devenue la coordinatrice du groupe « Agriculture et Alimentation » de la campagne présidentielle d’Emmanuel MACRON, ont annoncé l’ouverture pour Septembre 2021 de l’Ecole HECTAR à Levis-Saint-Nom (Yvelines).
Baptisé comme le « plus grand campus du monde, un écosystème constitué d’une ferme en agriculture régénératrice, un centre de formation et un lieu d’innovation accueillant des start-up » ce projet privé entre en concurrence directement avec l’Enseignement Agricole Public.
En effet, le Ministère de l’Agriculture démantèle un service public d’enseignement agricole par des baisses lors des lois de finances (-300 ETP en 5 ans), mais permet à l’enseignement privé de se développer au travers d’une marchandisation de la formation professionnelle introduite par la loi PENICAUD.
Le défi à relever notamment en terme de renouvellement des agriculteurs qui vont partir à la retraite sous 5 à 8 ans (50%) semble motiver ces investisseurs, qui voient dans ce champs de formation une opportunité de profits.
Un enseignement sans enseignant
En septembre 2021, HECTAR a bien ouvert, mais est loin des ambitions annoncées à savoir l’accueil de « 2000 étudiants par an, chacun venant à son rythme et selon ses besoins ».
En fait, 1000 seraient des élèves de 3ème en phase de découverte, sans que l’on sache la nature des formations dispensées. « On a beaucoup de mal à savoir ce qu’ils font. Leurs formations sont hors contrat et n’ont jamais été présentées devant aucune instance de l’enseignement agricole. » explique Olivier BLEUNVEN, secrétaire générale adjoint du SNETAP-FSU.
Sur le site web d’HECTAR, les trois parcours proposés en ligne se font soit en distanciel, soit sur des sites délocalisés dont des établissements agricoles publics ! « HECTAR paie des centres publics de formation pour qu’ils reçoivent et forment les stagiaires qu’il aura lui-même recrutés. Cela porte à déstructurer l’enseignement public » souligne Clémentine MATTEÏ, co-secrétaire générale du SNETAP-FSU.
Un pillage d’outils publics
Et de fait, la section SNETAP-FSU de l’EPL Bordeaux Gironde a découvert en début d’année scolaire un partenariat entre son établissement, HECTAR et Château Yquem (propriété de Bernard ARNAULT, père de l’épouse de Xavier NIEL), pour une formation « salarié agricole viticulture » sur le site du Lycée Professionnel Agricole de la Tour Blanche. Cependant aucune convention n’est présentée en Conseil d’Administration pour cette formation débutant en janvier 2022.
Et pour cause ! Le SNETAP-FSU obtient la convention finale, dont l’article 5 se révèle édifiant : « chaque semaine seront communiqués les contenus pédagogiques enseignés avec les annexes, les supports transmis avec les liens internet…. ».
Une véritable atteinte à la liberté pédagogique des enseignants et formateurs, une forme d’entrisme pédagogique.
Une réponse collective
Contre cette vision libérale de la formation professionnelle, le 29 Mars 2022, un collectif pour « l’enseignement agricole public » composé de syndicats de l’enseignement agricole (FSU, CGT, UNSA, FO, Solidaires) et des associations (ingénieurs sans frontières, FCPE, Confédération Paysanne, Comité de Défense et de Développement de l’Enseignement Agricole Public) a organisé une journée intitulée « L’EAP reprend un HECTAR à la Défense ».
Elle s’est déroulée en deux temps avec le matin une manifestation devant l’Ecole HECTAR à Levis-Saint-Nom et une pris de parole des différents partenaires du Collectif.
En début d’après-midi, les manifestants ont rejoint le parvis de la Défense, au pied de la tour TotalEnergies et de la Grande Arche, pour un forum citoyen autour de l’avenir de l’enseignement agricole publique ainsi que de l’agriculture et l’alimentation de demain, avec la participation de la FCPE, de la Confédération Paysanne et d’associations environnementales.
Si le SNETAP-FSU partage la nécessité d’une évolution des modes de productions et de transformations en agriculture, il s’oppose à cette nouvelle agriculture illustrée par HECTAR, qui entend former des entrepreneurs-managers et non des paysans, comme attendus par la profession.
Mais si HECTAR reste emblématique par la proximité de ses fondateurs avec le pouvoir en place, d’autres écoles privées (vétérinaire comme UniLaSalle à Rouen, forestière comme dans les Hautes-Alpes) ont vu le jour dans le même temps, quand ce n’est pas des entreprises qui sont à l’origine des formations (Lactalis en Mayenne). Il est vrai que les 2 milliards du Plan France 2030 consacrés à l’agriculture et à l’alimentation aiguisent les appétits.
Le Collectif est déterminé à poursuivre sa mobilisation en faveur de l’Enseignement Agricole Public à un moment assurément charnière pour le devenir de l’outil public de formation au regard de l’urgence environnementale, social et alimentaire.
Brice FAUQUANT
membre du Bureau National du SNETAP-FSU
Lycée AGRICAMPUS de Hyères