Pour tout dire c’est l’article du Canard enchaîné du 22 avril 2020 qui m’a alerté sur la mission confiée par le ministre Olivier VERAN à Jérôme GUEDJ, désigné dans sa lettre de mission du 24 mars en sa qualité d’ex-patron du conseil départemental de l’Essonne. « Trop modeste : notre expert possède une autre casquette plus discrète. Il y a deux ans, il a monté une boîte de conseil (Etsa) spécialisée dans les questions liées au vieillissement. Parmi ses clients, le géant privé Korian » selon le Canard Enchaîné du 22 avril 2020.

Ou encore, dans Libération du 24 avril : « Jérôme GUEDJ, socialiste frondeur en mission chez MACRON. Parfois, dans la vie, un retour se résume à deux petits messages. Dimanche 15 mars, GUEDJ envoie un texto au premier des ministres, Edouard PHILIPPE et à celui de la santé Olivier VERAN, pour proposer ses services (…). Edouard PHILIPPE est un ami (ils ont fait Sciences-Po et intégré l’ENA ensemble) et Olivier VERAN un pote. Les réponses ne tardent pas, ils lui demandent de « rappliquer ». Ils lui confient un rôle clé dans la crise sanitaire : une mission de lutte contre l’isolement des personnes âgées et fragiles en période de confinement ».

De qui s’agit-il ?

Cette mission consiste à « identifier les leviers qui sont aujourd’hui à la main des pouvoirs publics, des acteurs de terrain et de la société civile pour combattre l’isolement des ainés, pour le temps de crise mais aussi pour la période qui suivra ».

La période qui suivra, c’est ce qui est communément appelé « le jour d’après », et qui, au vu de l’incurie des gouvernements qui se sont succédés depuis trente ans devrait nous conduire à en tirer les leçons et revoir de fond en comble la politique de santé de notre pays. On pourra se reporter à l’article du Monde diplomatique d’avril 2020, « l’hôpital, le jour d’après » cosigné par André GRIMALDI et Frédéric PIERRU.

Les déclarations contradictoires du gouvernement et les décisions incompréhensibles qu’il a prises ne sont pas de nature à nous rassurer : la fermeture immédiate des bars et des restaurants à la veille du maintien du premier tour des élections, puis le confinement total prix à payer du manque de moyens, notamment à l’hôpital, la pénurie de masques et moyens de protection pour les soignants en particulier et la population en général… et pour finir l’annonce de la réouverture des écoles le 11 mai (mais pas les universités et pas tout de suite les lycées ou les collèges !) et l’interdiction de se réunir à plus de dix personnes. Cherchez l’erreur ! La liste des incohérences serait longue à écrire.

Et, dans cette période de confinement forcé, nous essayons de suivre, via la presse ou le site de l’ARS, l’évolution du nombre de morts à l’hôpital et dans les EHPAD de notre département. Les derniers chiffres publiés dans Var Matin du 29 avril 2020 (selon l’ARS PACA) font état de 201 décès, dont 110 dans les hôpitaux, et 91 dans les EHPAD. Ces chiffres ne prennent pas en compte les patient.es décédé.es à l’hôpital après un transfert depuis un EHPAD. Sans compter les patient.es décédé.es à leur domicile après avoir quitté un EHPAD (ces données ne sont pas accessibles).

En tant que membres du CDCA, nous n’avons été ni informés, ni sollicités.

Le 27 avril 2020, les organisations syndicales retraité.es du groupe des 9 varois ont interpellé Préfet et Président du Conseil Départemental. Elles s’étaient déjà adressées au Préfet le 16 avril sans obtenir de réponse.

Pourtant, l’élaboration d’une vraie politique destinée à améliorer notre système de santé qui a montré ses limites et ses graves lacunes supposerait de la transparence, mais aussi la participation de tous les acteurs concernés. Les questions de logique de service public ou de logique de profit sont posées (santé publique ou santé business ?).

« Le jour d’après » ne doit pas être un retour au jour d’avant. Nous devons faire en sorte qu’il soit meilleur, mais il pourrait tout aussi bien être pire : tout aussi libéral économiquement, mais plus autoritaire politiquement…

C’est dans ce contexte qu’il faut appréhender le rapport GUEDJ. Aucune analyse de la situation dramatique que nous connaissons (on ne le lui demande pas), aucune réflexion sur les raisons qui nous y ont conduits (on ne le lui demande surtout pas), aucun chiffrage des besoins (on ne le lui demande pas plus) et on arrive donc tout tranquillement sur une série de 42 mesures… Les 12 premières, celles d’un plan de mobilisation nationale contre l’isolement, vont d’un numéro vert national à « atténuer les conséquences du confinement en EHPAD et résidences autonomie » ou des « solutions numériques pour maintenir le lien social » et jusqu’à la « mobilisation de ressources nouvelles sur le terrain, dont les 70 000 gardiens d’immeubles ». Bien sûr, « sensibiliser », « aider », « soutenir », « accompagner », que ce soit les aidants, les professionnels de santé, les bailleurs sociaux et privés (dans le même sac) et jusqu’au réseau de La Poste et ses facteurs (ou ce qu’il en reste !)

Ne cherchons pas dans ce rapport GUEDJ une hypothétique politique volontariste de recrutement massif et de qualification de personnels, ou encore une quelconque réflexion de mise en place de plan de revalorisation salariale ! Après tout, les infirmières qui sont en première ligne et qui travaillent sans relâche n’ont eu droit qu’à la promesse d’une prime et, bien sûr, aux applaudissements de 20h, « la bienveillance des balcons du soir » : ne nous sommes-nous pas battus tous ces derniers mois et ces dernières années, sur le terrain, avec l’ensemble des personnels soignants pour obtenir des moyens pour l’hôpital public, moyens qui nous font cruellement défaut aujourd’hui… Peut-on nourrir l’espoir que les citoyens qui, en ces temps cruellement difficiles, font preuve de cette ferveur de 20h, se retrouvent demain dans la rue aux côtés des organisations syndicales pour faire aboutir les revendications des personnels hospitaliers ?

Ne cherchons pas non plus dans ce rapport des pistes pour développer les EHPAD publics (qui ne constituent que 43% du parc), pour augmenter considérablement le nombre de personnels pour pouvoir s’occuper dignement des patient.es.

C’est pourtant une revendication portée par le groupe des 9 au plan national depuis plusieurs mois : la création immédiate de 40 000 postes dans les EHPAD publics.

Alors que nous sommes en pleine crise sanitaire, la logique libérale est toujours à l’œuvre et les suppressions de lits sont toujours au programme !

Dans l’Huma Dimanche du 29 avril 2020, Gérard FILOCHE rapporte les propos d’un sénateur américain : « La vraie question est la suivante, allons-nous couler toute l’économie pour sauver 2,5% de la population qui coûte cher à la société et ne sont pas productifs ? »

Sur France 2, Elise LUCET rapporte qu’un médecin dénonce le fait « qu’on veut éliminer les personnes de 70 à 90 ans ». Ce serait aussi une autre façon de régler le problème des retraites…

Ne cherchons pas non plus dans ce rapport les questions (pourtant posées) de nationalisation (pourquoi pas de tous les EHPAD à but lucratif, et tant pis pour le groupe Korian, véritable machine à cash et leader du marché : ses actionnaires seront expropriés et ça sera compensé par des applaudissements publics le soir à 20h) ou de la création d’un grand service public d’aide à la personne, financé à 100 % par la branche maladie de la Sécurité Sociale.

Ne cherchons pas non plus dans ce rapport des éléments d’analyse sur la défaillance des ARS : de par la loi, elles sont responsables du bon fonctionnement du système de santé, ce qui implique la mise à disposition des matériels nécessaires à cette mission, notamment les équipements de protection…

Ne doit-on pas décider une réforme de l’ensemble du système de l’administration sanitaire pour qu’elle retrouve sa mission première : veiller à ce que toute la population ait accès à un système public de santé de proximité et de qualité. Et, ajoutons, avec un contrôle démocratique !

Par contre ce rapport fait la part belle à la « silver économie ».

En page 11, le verbatim issu du focus group de Silver Valley parait être à des années lumières des séniors que nous connaissons… Il est en effet précisé que « ces personnes âgées, qui ont participé par visio à ce panel, manifestement à l’aise avec les outils de communication, ne sont probablement pas représentatifs des plus isolés » … On ne saurait mieux dire !

En page 52, l’annuaire des outils et des solutions de la Silver Eco, déjà mentionné page 28 en lien avec la future page dédiée du site du Ministère consacrée à l’isolement, réalisée à la demande de la mission par France Silver Eco…

Dans les annexes, pages 43 à 47, on trouve la liste des personnes et organismes entendus par la mission, et avec un astérisque ceux de « l’équipe opérationnelle ». Les personnes consultées par Jérôme GUEDJ sont au nombre de 135, dont une trentaine de politiques, PS en majorité, mais aussi LR et UDI (3 pour chacun), 2 LREM et une LFI.

Les associations citées sont assez nombreuses mais au final seuls les responsables de La Croix Rouge figurent dans les personnalités consultées.

On y cherchera vainement des personnes du mouvement social ou d’obédience syndicale (pourtant représentés dans les CDCA), mais par contre, on y retrouve beaucoup de personnes de ce qu’il est convenu de nommer « l’entre-soi » et dont certaines portent de lourdes responsabilités dans la crise que nous vivons… C’est la politique éculée du « nouveau monde ».

Ce rapport ne fait pas rêver car il n’en donne ni les clés, ni les moyens.

L’avenir, si nous savons nous donner les moyens de le construire, se fera sur les valeurs du Service Public et de la solidarité.

Michel FORTUNA, le 30 avril 2020.