La CGT Police demande le retrait de la Loi Sécurité globale. Quelle analyse faites-vous de cette loi ?

La proposition de loi « sécurité globale » voulue par le chef de l’exécutif démontre à quel point l’État a décidé de se couper de la police républicaine au profit d’un service de sécurité mercantile et servile et surtout bien éloigné des fonctions régaliennes de l’État.

La loi relative à la sécurité globale est une mise sous « tutelle globale » des citoyens. Jamais un gouvernement n’avait été aussi loin dans l’abandon de son obligation régalienne de protection et de sécurité de son peuple.

Les polices municipales qui, rappelons-le, sont toujours placées sous l’autorité des maires seront par la volonté du président de la République en capacité d’enquêter sur les habitants (électeurs potentiels ou opposants) de la commune, de dresser des procès-verbaux donc procéder aux actes d’enquête sans contrôle de l’officier de police judiciaire.

La généralisation de ces pouvoirs pour les polices municipales d’une capacité de plus de vingts agents n’a d’autre but que de désengager l’État au profit des collectivités locales. La politique néolibérale du gouvernement considère que la sécurité des français ne fait plus partie des ses seules prérogatives, de ses priorités et qu’il peut donc en faire l’économie. L’implication du maire dans des domaines aussi techniques que la lutte contre la consommation de stupéfiants, les infractions graves au code de la route (défauts de permis, d’assurance etc..), le service d’ordre au cours des manifestations etc. nécessiteront des investissements lourds en terme de budgets comme de responsabilités pénales. Seules les communes importantes auront les moyens d’y faire face.

Il s’agit d’un recul anti-républicain sans précédent car l’égalité de traitement du citoyen justiciable ne sera plus garantie, puisqu’elle sera proportionnelle aux moyens financiers, ou de la volonté politique de la commune. Cette loi, sous des aspects sécuritaires n’a d’autre but que de capter des suffrages dans un calcul politique absurde et en aucun cas d’accroître la sécurité du pays. Il s’agit d’un recul inconcevable de l’espace réservé aux acteurs institutionnels de la paix publique que sont les policiers et gendarmes nationaux.

En ce qui concerne notamment l’article 24 fort décrié puisque contrevenant à la liberté de la presse. Des textes de loi existent déjà, encore plus répressifs qui protègent les forces de l’ordre entre autres personnes dépositaires de l’autorité publique des menaces dont ils pourraient faire l’objet personnellement que ce soit dans leur vie professionnelle ou privée avec des peines encourues encore plus sévères pour leurs auteurs.

De ce fait l’article 24 dans une interprétation aléatoire fait peser sur le corps policier un soupçon de violences institutionnalisées et d’impunité préjudiciable au respect et à la confiance qu’il doit inspirer au justiciable ordinaire, d’autant que nombre de mises en cause viennent conforter cette opinion et l’adage « pas vu pas pris ».

La loi « sécurité globale », telle qu’elle est présentée fait une place très importante à la sécurité privée. Un grand nombre de domaines devraient quitter le gironde la police ou gendarmerie au profit des sociétés de vigilance. L’action de l’État se limiterait alors au contrôle de ces dernières. Il va sans dire que les plus fragiles, ceux qui n’ont pas les moyens de recourir aux entreprises devront se débrouiller.

L’intensification de la vidéo-surveillance, l’utilisation généralisée des drones, avec bientôt le recours à la reconnaissance faciale instaurent un climat de surveillance généralisée de l’espace public ne laissant plus aucune place à l’anonymat essentiel au respect de la vie privée. Une utilisation immodérée de ces moyens techniques et numériques couplée au développement des fichiers et leur exploitation auront un effet coercitif sur la liberté de circulation, d’expression, et de manifestation.

Le nouveau schéma du maintien de l’ordre correspond-il aux besoins réels ? A quels objectifs répond-il ?

Le Schéma National du Maintien de l’Ordre sonne la fin du maintien de l’ordre à la française, digne héritier du discours du Préfet Grimaud .

Sous les mandatures HOLLANDE et MACRON l’exercice du maintien de l’ordre s’est sévèrement accru. Il s’agit d’une réponse vive aux réactions suscitées par des annonces politiques particulièrement impopulaires et mal perçues par l’opinion publique. Il prend aujourd’hui une place supra-importante dans les méthodes de gestion de l’exercice » démocratique » de l’exécutif.

Depuis 2018 et les évènements de Sivens (Tarn) et des débordements autour de la protestation contre la « loi travail », il est apparu que des dysfonctionnements graves dans l’ordonnancement des opérations de maintien de l’ordre mettaient l’exécutif face à des responsabilités aux effets désastreux. Il devenait donc utile pour ce dernier de rassurer les Français face à la répression impopulaire des mouvements sociaux massifs et de leurs conséquences en terme d’image. D’abord, afin d’éviter le recours systématique à l’utilisation de la force, l’État a tenté sans succès de durcir les modalités de participations aux manifestations sur la voie publique, espérant ainsi juguler un phénomène en croissance constante. C’est ainsi que sont apparus le Décret du 20 mars 2019 sur la participation à une manifestation interdite et la Loi du 10 avril 2019 visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations. Cet arsenal juridique n’a pas suffi à dissuader les démonstrations populaires. Il a sans doute eu l’effet inverse, puisque les protestataires se sont adaptés et parfois radicalisés.

Alors qu’une réelle adaptation est nécessaire, les décisions du Ministre DARMANIN sont décevantes et inquiétantes car elle mettent de côté les seules unités spécialisées capables de gérer de manière professionnelle les débordements.

La France dispose depuis 1944, d’unités mobiles, professionnelles, usant de techniques éprouvées, mues par l’étique républicaine, qui ont su au fil du temps s’imposer au niveau international. Certes, tout n’est pas parfait, mais elles demeurent référentes dans le domaine de la formation au maintien et rétablissement de l’ordre public, animées par une préoccupation constante d »éviter tout accident ayant des conséquences graves.

Elles ont acquis une réputation respectable. Il est vrai qu’au fil des temps les Compagnies Républicaines de Sécurité comme les Unités de Gendarmerie Mobile qui ont subi une lourde déflation de leur volume de personnel sont à la limite de leurs capacités opérationnelles. Elles restent néanmoins, aujourd’hui encore, les seules forces en capacité d’opérer de manière sérieuse avec des techniques éprouvées.

Ce nouveau schéma national du maintien de l’ordre est une coquille vide, pâle re-sucée du rapport de l’Institut National des Hautes Études de la Sécurité et de la Justice (INHESJ) de mars 2019, On retrouve, la tentative d’encadrer la communication que l’on ne maîtrise pas.

Il instille l’émergence d’unités d’un nouveau type, issues des rangs de la sécurité publique et dont on a connu les limites dans un passé pas si lointain (la plupart avaient été dissoutes). La mise en place de « réserves généralistes » sporadiquement constituées et issues des rangs de la sécurité publique, c’est à dire des commissariats encore une fois dépouillés n’est pas et ne sera jamais la réponse adaptée. Sécurité publique et ordre publics sont deux métiers qui ne sont pas superposables. Le message est clair. Le gouvernement a besoin de gommer l’image impopulaire renvoyée par les épisodes violents du « rétablissement de l’ordre » auquel il a forcé la main.

Il n’entend pas pour autant baisser la garde, les mesures impopulaires se succèdent à un rythme sans précédent et la grogne sociale est forte. Par ailleurs, les messages d’alertes et les réticences envoyés par les responsables des unités MO parviennent au sommet de l’État. Il ne reste plus pour reprendre la main que la mise en œuvre d’unités hétéroclites et dociles, moins formées, moins structurées, donc plus fragiles.

Vous décrivez souvent le malaise de votre profession, sur fond de défiance grandissante dans la population. Le Beauvau de la sécurité répond-il à vos attentes ?

La calinothérapie de la place Beauvau commence bien mal ! Nous attendions des mesures fortes allant dans le sens du respect et de la consolidation de l’institution régalienne qu’est la sécurité publique. A contrario, Gerald DARMANIN démontre qu’il n’a pas saisi les raisons qui conduisent les policiers à la démotivation. L’annonce du recrutement de 30 000 réservistes n’est absolument pas réaliste dès lors que la capacité de formation de la Police nationale est réduite à sa plus simple expression. Elle n’a plus les moyens de former sérieusement les policiers professionnels.

A cela devrait s’ajouter l‘ouverture de 10 000 stages, de contrats d’apprentissages accessibles aux collégiens, aux apprentis et étudiants, essentiellement issus des quartiers difficiles. Qui parmi nous pourra continuer d’assurer le service public au quotidien lorsqu’il sera contraint d’encadrer, former et protéger un gardien de la paix stagiaire, un adjoint de sécurité contractuel, un réserviste et un apprenti ? Personne n’est dupe. Il ne s’agit pas de multiplier les uniformes pour multiplier les résultats.

Les policiers ont très bien compris que ces mesures dégraderont encore et encore les conditions de travail. Elle altéreront également le déroulement de carrière car lorsque les réservistes occuperont les postes convoités dans les circonscriptions de province, que deviendront les perspectives de mutation pour les policiers statutaires ?

Le Beauvau de la sécurité était une perspective intéressante. Hélas Monsieur le Ministre n’est pas sur la bonne ligne ! Nous avons besoin de tout, mais certainement pas d’effets d’annonces destinés à préparer les futures échéances électorales.

Selon vous, quelles devraient être les priorités de l’État concernant la politique de maintien de l’ordre ?

Nous sommes très inquiets face à ces modifications du SNMO qui vont à l’encontre des principes républicains, en particulier lorsqu’il s’agit d’exclure les journalistes et observateurs des opérations de dispersion ou de rétablissement de l’ordre.

Nous suggérons :

  • la remise à plat de la doctrine de maintien de l’ordre, qui doit passer de la conception de la protection du gouvernement à celle de la protection des populations ;

  • un réexamen des diverses lois répressives prises ces dernières années qui n’ont pour but que de dissuader le peuple de manifester dans la rue et de nuire à la garantie des droits fondamentaux des citoyens ;

  • la spécialisation de forces chargées uniquement du maintien de l’ordre et appartenant à la police nationale ;

  • de rendre dans ces conditions un espace d’initiative au profit des chefs de ces unités spécialisés.